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1er mai 1993 : comment la mort de Pierre Bérégovoy a été annoncée

1er mai 1993 : comment la mort de Pierre Bérégovoy a été annoncée

Le 1er mai 1993, le journal de 20h de France 2 a débuté par ces mots, froids : « Disparition tragique de Pierre Bérégovoy, l'ancien premier ministre est mort cet après-midi à Nevers après s'être tiré une balle dans la tête ». Récit en archives.

Par Romane Laignel Sauvage - Publié le 26.04.2023
F2 Le Journal 20H : émission du 1er mai 1993 - 1993 - 33:46 - vidéo
 

« Disparition tragique de Pierre Bérégovoy, l'ancien premier ministre est mort cet après-midi à Nevers après s'être tiré une balle dans la tête ». C'est par ces mots qu'il y a 30 ans, le 1er mai 1993, le journaliste de France 2 Bruno Masure annonçait en ouverture de son JT de 20h que l'ancien premier ministre Pierre Bérégovoy avait mis fin à ses jours par arme à feu à Nevers. Le maire de la préfecture de la Nièvre avait fait usage de l'arme de service de son agent de sécurité vers 18h15. Même si sa mort ne sera officiellement déclarée qu'après son transfert à l'hôpital parisien du Val-de-Grâce, l'information du suicide du responsable politique sera très rapidement donnée, selon les différentes sources.

Les premiers éléments étaient tombés peu après 19h. L'information concernant un homme politique de premier plan, ayant quitté seulement un mois plus tôt le poste de premier ministre, les chaînes de radio et de télévision ont instantanément diffusé l'annonce de la mort de Pierre Bérégovoy.

Les premières annonces

À la radio, le journal de 19h de France inter se déroulait normalement, comme on l'entend dans l'archive ci-dessous. Mais au bout de 6 minutes d'antenne, le récit était interrompu. La tentative de suicide de l'homme politique est alors annoncée au conditionnel : « À l'instant même cette information qui me parvient, à prendre au conditionnel, l'ancien premier ministre Pierre Bérégovoy aurait tenté de se suicider d'une balle dans la tête cette après-midi. L'agence Reuters qui nous donne cette information précise que Pierre Bérégovoy ne serait pas mort et qu'il a été transporté à l'hôpital. Cette information vient de tomber à l'instant même sur nos téléscripteurs. »

Un quart d'heure plus tard, à 19h31, Éric Cachart annonçait sur France 3 la mort de Pierre Bérégovoy, par l'affirmative suivante : « L'ancien premier ministre socialiste Pierre Bérégovoy est mort ce soir à 19h30, il y a tout juste une minute, à l'âge de 67 ans. Pierre Bérégovoy s'est suicidé d'une balle dans la tête cet après-midi à Nevers. » C'est l'un des premiers sujets consacrés à sa disparition. Il est disponible ci-dessous.

19/20 2EME : émission du 1er mai 1993
1993 - 23:04 - vidéo

Un direct de l'antenne bourguignonne de France 3 était lancé avec difficulté, signe de la précipitation avec laquelle la programmation avait été modifiée. Depuis Dijon, le journaliste Hervé Charbonnier tentait de donner les premières informations disponibles sur « les circonstances du décès du premier ministre » : « Pierre Bérégovoy a été découvert à 18h15 ce soir près du bassin de jonction du canal du Nivernais, à la périphérie de Nevers, sa ville. Pierre Bérégovoy s'est tiré une balle dans la tête avec l'arme de son garde de corps et à l'insu bien sur de ce dernier. Il a été transporté au Samu de Nevers où il est donc décédé tout à l'heure à 19h30. » Et Éric Cachart d'ajouter qu'après une rencontre avec des syndicalistes, l'ancien premier ministre avait demandé à être emmené à l'extérieur de la ville.

« Pierre Bérégovoy avait été nommé premier ministre par François Mitterrand au mois d'avril 1992 et avait démissionné de ses fonctions après la défaite du parti socialiste aux élections ». Un premier portrait en forme de curriculum vitae de cet « ancien ouvrier » était diffusé. Malgré les grésillements du son, le journaliste de Dijon parvenait à expliquer : « Ajusteur fraiseur à 15 ans, il ne pensait pas faire un jour de la politique ». Et concluait : « Ce soir, la Bourgogne se sent tout de même en deuil ».

Dans le même temps, France inter cassait finalement son antenne pour revenir sur l'information qui était « maintenant officielle depuis très exactement 5 minutes : Pierre Bérégovoy est officiellement décédé après s'être suicidé par arme à feu. »

Un journaliste sur place proposait un récit des faits au conditionnel mais affirmait la mort du premier ministre. « Ce que l'on sait c'est que les sapeurs pompiers de Nevers sont arrivés rapidement avec les services d'urgence. Que l'ancien premier ministre a été très longtemps à l'intérieur d'une ambulance mais qu'a priori dès les premières minutes qui ont suivi le drame les sapeurs pompiers savaient que Pierre Bérégovoy était cliniquement décédé. Voilà les premières informations, à mettre au conditionnel. »

Annonce de la mort de Pierre Beregovoy
1993 - 10:21 - audio

Après un portrait de Pierre Bérégovoy, « un homme estimé par l'opposition et admiré à l'étranger, le grand argentier » qui « s'était fait l'apôtre d'une politique de rigueur pour conserver une monnaie forte », les premières hypothèses pour comprendre le choix de son geste étaient émises. « Cette défaite de la gauche a-t-elle fortement touché l'ancien premier ministre ? »

La journaliste faisait le portrait d'un homme attristé, dont on critiquait l'action au poste de premier ministre et rattrapé par des affaires d'argent : « Je pense qu'il y a eu toutes ces affaires aussi : on l'avait accusé d'avoir eu un prêt d'un million de francs pendant sa campagne électorale. Il y a eu toutes ces affaires Boublil , l'affaire Péchiney. Tout ça l'avait beaucoup affecté. »

L'affaire du prêt

Début février 1993, Le Canard enchaîné avait révélé l'existence d'un prêt sans intéret d'un million de francs (autour de 150 000 euros) en provenance de Roger-Patrice Pelat, un proche de François Mitterrand. Malgré la légalité de ce prêt qui lui permis d'acheter son appartement à Paris, les soupçons qui pesèrent sur son intégrité semblèrent affecter particulièrement Pierre Bérégovoy, notamment lors de la campagne pour les législatives. D'autant qu'il avait fait de la lutte contre la corruption l'une de ses priorités.

Par ailleurs, un scandale politico-financier avait touché son directeur de cabinet à la fin des années 1980, Alain Boublil. Ce scandale, dit de Pechiney-Triangle, concernait un délit d'initié sur une offre publique d'achat du groupe Pechiney. Il implique également Roger-Patrice Pelat.

À cette situation, selon elle, s'ajoutait le naufrage de la gauche aux élections législatives de mars 1993 : « Cette période électorale, il l'a mal vécue quand on a parlé du gouffre des comptes sociaux, avec les fameux 100 milliards qui sont à récupérer pour faire fonctionner la sécurité sociale. Il était très affecté de la façon dont, effectivement, on parlait de la façon dont il avait pu prendre les rênes. » Le passé l'emportait désormais sur le présent pour parler de Pierre Bérégovoy. « Homme apprécié des financiers et des grands patrons, c'était un parfait honnête homme comme on l'appelait, un négociateur hors pair ».

Un premier témoignage était diffusé, celui de Claude Estier, homme politique proche de l'ancien premier ministre. Il se disait « tout à fait effondré » et maintenait l'usage du présent, vraisemblablement ému : « Pierre Bérégovoy est un ami de toujours. » À propos de la défaite socialiste, il ajoutait : « Je ne pouvais pas imaginer que ça le conduise à cette extrémité ».

« Pierre Bérégovoy était comme l'on dit un autodidacte »

Moins d'une heure après les premiers sujets, l'information fait donc la une des journaux télévisés du soir. Au 20h de France 2, en tête de cet article, Bruno Masure affirmait ainsi dès le début de son journal : « Madame, Monsieur, bonsoir. Pierre Bérégovoy est mort en fin d'après-midi après s'être tiré une balle dans la tête à Nevers, la ville dont il est maire. Les circonstances de ce drame sont encore mal connues. Selon certains témoignages, il aurait demandé à son chauffeur de le conduire sur les berges d'un canal où il aurait mis fin à ses jours avec l'arme de service de son garde du corps. »

Rarement diffusée en l'état à la télévision ou sur les ondes, la confirmation de la gendarmerie de Nevers était intégrée au journal. Le lieu et le moyen du décès y étaient confirmés. Bruno Masure concluait, dans un propos convenu : « Rien ne laissait présager ce geste, Pierre Bérégovoy avait reçu tous les syndicalistes à la mairie comme il le faisait chaque 1er mai. »

Comme sur France Inter et France 3, un portrait était proposé. Ici, il s'agissait d'un sujet de la journaliste Nathalie Saint-Cricq : « On le savait dépressif ces derniers jours, Pierre Bérégovoy s'est suicidé aujourd'hui, il s'est tiré une balle dans la tête, il est mort peu après son transfert à l'hôpital de Nevers. Fidèle de François Mitterrand, âgé de 66 ans, Pierre Bérégovoy était comme l'on dit un autodidacte. C'est après la résistance en 1946 qu'il adhère à la SFIO, il gravit peu à peu tous les échelons et se retrouve en 1981 secrétaire général de la présidence avant d'obtenir en 1982 son premier portefeuille ministériel. Avril 1992, il devient premier ministre. Une consécration, en succédant à Edith Cresson. Il sera le dernier premier ministre socialiste de François Mitterrand. On le savait profondément touché par l'échec de la gauche aux dernières législatives. Un échec qu'il jugeait injuste et injustifié, on le savait atteint par ce qui était devenu l'affaire du prêt. Il avait obtenu un prêt sans intérêt de l'homme d'affaire Patrice Pelat, il s'était sentit blessé dans son honneur. Réélu député il y a un mois au milieu d'une petite poignée de socialites il restait très discret, très affecté par la défaite, après presque 50 années de militantisme socialiste, 50 années au service du parti. »

En février 1993, Pierre Bérégovoy avait été interrogé sur le prêt, comme le montre cette archive. Il disait, l'air fatigué : « J'ai reçu des coups, j'espère qu'ils ne marqueront pas. Comme je vous l'ai déjà dit à plusieurs reprises, quand on a le sentiment d'avoir agit en conscience on ne peut pas être bousculé par la calomnie. »

« Il avait fondé toute sa carrière sur l'honneur et la rigueur »

Véronique Auger, autrice d'un livre en parti consacré à Pierre Bérégovoy, avait, elle, l'assurance de connaître les motivations de Pierre Bérégovoy : « Je suis sûre que c'est une réaction d'honneur parce qu'effectivement l'histoire du prêt que lui avait fait cet homme d'affaires, proche de François Mitterrand, prêt sans intérêt qui a provoqué pas mal de polémiques, l'avait beaucoup touché ». Elle le rappelait également, Pierre Bérégovoy avait « fondé toute sa carrière sur l'honneur et la rigueur » et évoquait sa peur de voir sa gestion du pays remise en cause.

L'annonce officielle de sa mort n'eut lieu que quelques heures plus tard, comme on l'entend dans l'archive de France 2 ci-dessous. Il est en effet rapidement établi que l'ancien premier ministre n'est pas mort sur le coup, ni à l'hôpital de Nevers mais au cours de son transfert vers l'hôpital du Val-de-Grâce à Paris. Contrairement à ce qui avait été annoncé dans les heures précédentes. Dans l'archive ci-dessous, le représentant du ministère de la Défense énonçait : « Monsieur Pierre Bérégovoy est décédé samedi 1er mai 1993 à 22h15, au cours de son transfert de l'hôpital de Nevers à l'hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce ». Pierre Bérégovoy n'avait laissé aucune explication.

Plutôt « mourir que de subir l'affront du doute »

Aux obsèques de Pierre Bérégovoy, François Mitterrand dressait un portrait élogieux de celui qui fut l'un de ses proches et dénonçait le traitement médiatique de l'affaire du prêt. « Son action m'autorise à redire aujourd'hui la capacité de l'homme d'état, l'honnêteté du citoyen qui a préféré mourir que de subir l'affront du doute. Toutes les explications du monde ne justifieront pas que l'on ait pu livrer aux chiens l'honneur d'un homme et finalement sa vie au prix d'un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République. »

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